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Kirundo-Ntega : La femme, un acteur clé dans la réconciliation24/04/2025 | 27 vues Publié par : NTIBARIKURE Mathias
15 août 1988- 15 août 2025, trente-sept ans viennent de passer après la crise sanglante qui a endeuillé les communes de Ntega (Kirundo) et Marangara(Ngozi). Hélas, à ce jour, la lumière n’est pas faite sur ces événements tragiques. Les hutu et les tutsi se jettent les responsabilités. Mais le rôle des femmes reste crucial dans l‘éducation à la réconciliation et à la consolidation de la paix par la transmission de la mémoire positive.
Trente-sept ans après la crise sanglante qui a endeuillé la commune Ntega, des questions sans réponse demeurent, notamment les responsabilités. Qui a fait quoi, pourquoi et comment ?  Deux versions se transmettent entre générations : une affirme que des  hutu se sont déchaînés   sur des Tutsi. «Des tracts étaient jetés surtout devant les ménages des Tutsis». Une autre version raconte que les Tutsi voulaient liquider les Hutu comme ils l’ont fait en 1972 : « Nous avons pris les devants pour nous défendre, plutôt que mourir bras croisés », disaient les Hutus.
 
Partant de ces  deux versions contradictoires et connaissant le rôle de la femme dans l’éducation des enfants, les femmes de la commune Ntega ont joué et continuent de jouer un rôle de premier plan dans la réconciliation et la consolidation de la paix par la transmission de la mémoire. Elles sont les premières dans l’éducation de leur enfant et partant de la société toute entière.

Rappel des faits 

La population de la commune Ntega, toute ethnie confondue s’accordent sur le fait que les massacres qui ont endeuillé cette commune commencent avec un certain Réverien Harushingingo. Un tutsi  commerçant de renom. Certains habitants avec qui, nous nous sommes entretenus disent que la population l’accusait d’avoir trempé et contribué aux massacres des Hutu de 1972. Les tutsi racontent que les hutu gardaient en mémoire la part de Harushingingo dans les massacres de 1972. « C’est Ainsi que des Hutu s’acharnent sur lui et toute sa famille », raconte Elias Kubwimana (tutsi-61 ans).
 
     Elias Kubwimana, rescapé des massacres de Ntega

Août  1988. Kubwimana a presque tout vu et enduré. Assis dans son salon, Kubwimana raconte sa traversée de cette période macabre de sa vie. Colline Gisitwe, samedi 13 août, des rumeurs  circulent. Des tracts de menace sont retrouvés devant certains ménages.  «Sur ces tracts étaient écrits : qu’ils ne prennent pas les devant» (ntibasubire kudutanga) qui faisaient  référence aux évènements de 1972.
 
Dans la nuit de dimanche, poursuit M. Kubwimana, les tueries commencèrent. Mon petit frère, son enfant, sa femme, tous furent exécutés. Lundi matin, les hutus ont commencé à massacrer les tutsis. « Dans notre famille, on était à quatre mais c’est moi seul qui échappai de justesse », raconte-t-il les larmes dans les yeux. Il informe que les tueries visaient plus les hommes que les femmes.
 
Craignant de subir le même sort, M. Kubwimana raconte qu’il a fui vers le Rwanda. «Voyant que je restai seul, j’ai dû fuir vers le Rwanda, avec quatre  jeunes hutus ». Arrivait au Rwanda, des informations que la guerre prend une autre tournure. L’armée massacre les hutus. Des avions bombardent les civiles. Ceux-ci fuirent à leur tour. 
  
De retour du Rwanda, les Hutu et les tutsi se regardaient en chien de faïence. Mais, avec la promulgation de la charte de l’unité, l’espoir renaquit entre ceux qui, hier s’entretuaient. La cohabitation, la réconciliation devient une affaire de tout le monde. 

Leocadie Nyabuhinja (Hutu-71 ans) habite la commune Ntega, quartier Ntega. Elle a vécu la tragédie. Une tragédie qui a emporté son mari et certains de ses enfants. Elle raconte : «  Quand la tragédie éclata, je n’étais pas à la maison. J’étais allée rendre visite à ma  sœur qui habitait sur une autre colline. Quand je rentre, j’ai pris connaissance des massacres qui étaient en train d’être perpétrées ». Des gens munis de machettes s’emparent des collines pour massacrer les autres. Avant, des tracts étaient jetés partout. Des gens disaient « qu’ils n’envahissent pas en premier comme ça a été en 1972. Pour justifier leur manœuvre, certains demandaient  où  se trouvent certains gens de 1972 alors qu’ils savaient que ces derniers ont été emportés par la crise de cette époque. »

Actuellement, raconte-t-elle, la population de Ntega, toutes ethnies confondues cohabitent pacifiquement sans discrimination ethnique. 

 « Il n’y a pas d’ethnie mauvaise, il y a des gens mauvais »

Médiatrice Kabagabire (hutu), mère de six enfants  habite sur la colline Gisitwe de la commune Ntega. Elle est née au mois de novembre en 1988  dans une famille où sa mère était réfugiée dans la commune Bugabira de la même province. Elle indique que même après que ses parents ont regagné le bercail, elle, est restée dans la famille de refuge jusqu’à l’âge de 8 ans.
 
Mme Kabagabire affirme avoir pris connaissance de ce qui  s’est passé, non pas de ses parents mais des enfants de l’entourage. «Mes parents ne m’ont jamais parlé de ce qui s’est passé en 1988. C’est à travers les autres que j’ai pris connaissance de la tragédie. On ne m’a pas parlé que les Tutsi sont des gens mauvais mais plutôt  que ce sont des gens qui ne veulent pas que les autres accèdent aux postes de prise de décision ». Au fur et à mesure qu’elle grandissait Mme Kabagabire raconte qu’elle a constaté que les tutsis sont des gens comme les autres. De surcroit, explique-t-elle, quand elle éduque ses enfants, elle leur informe qu’il n y’a pas  d’ethnie mauvaise mais qu’il y a des gens mauvais. « Je vous dis même que mes enfants cohabitent bien avec les enfants des Tutsis et il n’y a aucun problème ».

Mugisha Pascal, né après la crise de 1988
Mugisha Pascal (hutu) est née en 1990 sur la colline Gihome. Il est père de trois enfants.  Quand la guerre éclata, il n’était pas encore né.  Tout ce qu’il connait de la tragédie de 1988 n’est qu’une histoire racontée par les rescapés de sa famille. «Mes parents m’ont raconté que c’était terrible. Des tutsis se sont déchainés froidement sur des hutus et les ont massacrés sans distinction d’âge ni de sexe ». 

En tant que père, Mugisha dit qu'il conseille ses enfants à ne pas agir comme l’ont fait ses grands-parents. « Je leur indique que les tutsis ne sont pas des gens mauvais. Que ce sont des gens normaux avec qui, il est important de cohabiter »

Mugisha raconte qu’actuellement, des liens  se sont tissés entre les hutus et les Tutsi. Les hutus et les tutsis se marient entre eux. « Mon grand frère a épousée une femme de l’ethnie Tutsi. Mes enfants et ses enfants sont des cousins. De plus, mes deux sœurs vont prochainement se marier à des Tutsi». Pour M. Mugisha, les guerres sont nourries par la manière dont les parents  éduquent leurs enfants.

Que faut-t-il transmettre aux enfants ?

Les hutus et les tutsis de la commune Ntega s’accordent que les parents doivent transmettre à leurs enfants des messages de paix et de la réconciliation. Qu’aucune parent ne dise à ses enfants que telle ethnie est mauvaise à fait ceci et cela. Pour eux, cela continuerait à nourrir la haine, la méfiance et la méchanceté. D’ailleurs certifie Elias Kubwimana (tutsi-61 ans) du quartier Ntega les enfants ont des modèles. 

« Malgré que mes frères et mes parents aient été massacrés par les Hutus, depuis 1982, je suis marié à une femme hutue. La guerre a éclaté alors que je venais de passé 6 ans étant marié ». M. Kubwimana fait savoir que les histoires des hutus et des Tutsi leur étaient méconnues. D’ailleurs, souligne-il, une de ses filles est mariée à un hutu, l’autre à  un tutsi. Une raison de plus qui lui pousse à dire à ses enfants de mettre de cote la question ethnique. 

Mme Leocadie Nyabuhinja? victime de la crise de 1988

Même son de cloche chez Mme Nyabuhinja (hutu). Pour elle, la transmission des mémoires constitue un élément essentiel dans le renforcement de la cohésion et la réconciliation comme elle peut constituer un élément déclencheur de la barbarie. Elle se dit confiante que le passé que le Burundi a vécu ne reviendra jamais. Elle explique qu’à Ntega, la  réconciliation a déjà ses racines. Les gens  d’ethnies différentes se marient.  « J’ai deux gendres tutsis.» Bref, Mme Nyabuhinja invite ses pairs à cultiver l’esprit de cohabitation et de tolérance plutôt que de semer la haine dans leur progéniture. 

Ambassadeur, Epiphanie Kabushemeye Ntamwana, représentante légale de l’Association des Veuves et  Orphelins pour la Défense de leur Droits (AVOD) indique qu’avant toute chose, il faut que la vérité soit connue afin de connaitre quoi transmettre aux enfants. 

Cette ancienne ambassadeur précise que tous les burundais ont été touchés. Elle indique qu’AVOD sensibilise à la paix et à la réconciliation.
 
La CVR donne des conseils

Mme Léa Nzigamasabo secrétaire exécutif à la Commission Vérité et Réconciliation

Lors de l’atelier du 26 février 2025 réunissant les associations des victimes, les orphelins et les rescapés des crises cycliques, Mme Léa Nzigamasabo secrétaire exécutif à la Commission Vérité et Réconciliation a appelé les participants et la population en général à éduquer leurs enfants à la réconciliation. Et surtout éviter de transmettre à leurs enfants des messages qui divisent les uns et les autres (hutus et tutsis). Elle précise que les divisions ethniques, la haine et la méfiance sont enseignées  aux enfants autour du feu. De surcroit, elle appelle les parents à donner des messages de paix afin de désintoxiquer les générations actuelles et prévenir les générations futures contre les la barbarie qu’a connu le Burundi. 

Mme Nzigamasabo réaffirme que la prévention précoce commence dans la famille. « L’éducation, les messages que les parents donnent à leurs enfants les façonnent », précise-t-elle. Au cas contraire, nuance-t-elle, cela renforce la haine et l’intolérance. Elle signale que si la CVR organise de tels ateliers ce qu’elle veut donner un message à transmettre aux enfants. Leur raconter ce qui s’est passé  n’ont pas pour les inciter à la vengeance mais à construire un avenir exempt de division ethniques, un avenir qui respecte les droits humains et leurs biens. Pour elle  si quelqu’un apprend à respecter l’autre, les guerres pourraient s’arrêter. Et de lancer : « Ne léguer à vos enfants la haine, les divisions ethniques,  léguez-les  un pays de paix et de miel».

« Ce ne pas l’ethnie qui massacre, c’est une mauvaise gouvernance »

Pierre Claver Mbanzabugabo, administrateur de la commune Ntega

L’administrateur de la commune Ntega, Pierre Claver Mbanzabugabo reconnait que sans la paix et la sécurité, le développement devient une utopie. Il rappelle que  leur  rôle en tant qu’administration reste incontournable. « Dans les réunions que nous tenons, nous invitons la population à une cohabitation pacifique sans distinction. Nous leur indiquons  que les hutus et les tutsis sont tous des fils et filles du pays ». 

Notons que la paix durable exige la participation des femmes dans tout processus de reconstruction

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