"Nous nous réunissons ici dans un contexte où les règles du jeu international se transforment à grande vitesse, mais rarement au bénéfice de l’Afrique. C’est pourquoi nous devons aujourd’hui poser des questions fondamentales sur ce qu’est véritablement une dette soutenable, sur ce que signifie la souveraineté financière, et sur les responsabilités partagées – en Afrique et au-delà », lance le président du conseil togolais dans son discours d’ouverture de la conférence. Il souligne que pour répondre à ses questions, les pays africains doivent répondre avec lucidité, avec courage, et surtout avec unité.
Faure Essozimna Gnassingbé, rappelle que la dette en Afrique constitue une crise silencieuse, mais structurelle. En effet, explique-t-il, le surendettement africain n’est plus un risque. Il est une réalité quotidienne. Plus de vingt pays africains sont aujourd’hui en situation de détresse ou à haut risque. Alors même que nos besoins de financement sont immenses, urgents et légitimes : qu’il s’agisse des infrastructures, de la santé, de l’éducation, de la sécurité, ou encore du climat.
Pourtant, déplore le président Gnassingbé, depuis 20 ans, les Etats africains ont fait des efforts considérables. « Nous avons engagé des réformes de bonne gouvernance, renforcé nos systèmes de gestion publique, amélioré la transparence budgétaire. Malgré cela, en 2024, l’Afrique a déboursé plus de 160 milliards de dollars pour le service de sa dette. Soit plus que ce qu’elle consacre à ses systèmes de santé ou d’éducation ».
Le président Faure estime qu’il ne s’agit pourtant pas d’une fatalité économique mais le résultat d’un système. Un système dans lequel les règles sont pensées ailleurs, pour d’autres priorités. Pour lui, il est temps de passer d’une logique de surveillance à une logique de confiance basé sur un partenariat sincère qui repose r sur la confiance mutuelle et non sur la défiance structurelle.
« La viabilité de la dette ne peut être une camisole budgétaire imposée de l’extérieur ».
Faure Essozimna Gnassingbé, président du Conseil de la République TogolaiseLe président Conseil de la République togolaise trouve que les cadres d’analyse de la dette aujourd’hui en vigueur sont largement obsolètes, voire contre-productifs. Il indique que les méthodologies actuelles sont conçues pour contraindre, pas pour accompagner. Souvent, ces méthodologies sous-estiment les recettes, surestiment les risques, et créent un effet auto-réalisateur de resserrement budgétaire. Elles produisent presque systématiquement des prévisions pessimistes, générant une spirale d’ajustements permanents et d’austérité. Pire encore, elles pénalisent les pays qui innovent, qui investissent, qui prennent des risques pour le développement.
Le président du conseil togolais souligne que l’Afrique a besoin d’une nouvelle doctrine sur la dette où l’endettement ne constitue pas un mal en soi, mais un outil de transformation. « Nous ne pouvons plus accepter que nos États soient évalués uniquement à travers la taille de leur déficit, et sans tenir compte des efforts réalisés pour préparer l’avenir »,
Faure Gnassingbé reconnait que l’Afrique a certainement un problème de dette, mais qu’elle a aussi un problème de coordination. Il déplore le fait que cette dette est isolée, gérée pays par pays, sans vision continentale. Ce qui conduit à l’impasse. En revanche, ajoute-il, une dette organisée, appuyée par des institutions régionales solides, et orientée vers des projets peut devenir un moteur d’intégration et de croissance. C’est pourquoi, explique le président Faure, la question de la dette n’est pas uniquement une question de chiffres. C’est aussi une question de choix collectifs.
« Sur tout le continent, plus de 20 pays africains sont déjà confrontés au surendettement ou sont au bord du gouffre »
« En effet, au moment où nous nous réunissons, l’Afrique n’est pas simplement confrontée à une crise de la dette, elle est confrontée à une crise du développement – une crise où le service de la dette est en concurrence directe avec la santé, l’éducation, les infrastructures et le droit fondamental au développement » souligne Claver Gatete, Secrétaire général adjoint des Nations Unies et Secrétaire exécutif de la Commission économique pour l'Afrique (CEA). Néanmoins Gatete se pose la question de savoir de « quelle solution l’Afrique a-t-elle besoin ? Et dans quel délai elle peut être mise en œuvre ? »
Claver Gatete, Secrétaire Général Adjoint des Nations UniesPour répondre a cette double question, le SGA des N-U par des faits qui donnent à réfléchir: En 2024, la dette publique totale de l’Afrique a atteint 1 860 milliards de dollars, avec un ratio dette/PIB moyen passant de 44,4 % en 2015 à 66,7 % aujourd’hui. « Sur tout le continent, plus de 20 pays africains sont déjà confrontés au surendettement ou sont au bord du gouffre », regrette Gatete. Et d’ajouter, lorsque les remboursements de la dette dépassent les investissements dans la santé et l’éducation, nous devons-nous interroger sur la durabilité et le coût humain de notre trajectoire fiscale.
Claver Gatete se demande si l'Afrique, qui détient 30 % des minéraux critiques de la planète, 60 % des terres arables et la population la plus jeune de la planète, n'est pas considérée comme bancable, alors qui l'est ? Pour dire que l’Afrique a des potentialités de développement basé sur ses minerais, sa population jeune et ses terres arables.
« Repenser la dette comme un outil de développement et non un outil de destruction »
Le Secrétaire général adjoint des Nations Unies rappelle que les instruments financiers internationaux sur lesquels l’Afrique comptait autrefois, notamment l'aide publique au développement, s'amenuisent. « Aujourd'hui, 83 % des programmes de l'USAID ont été annulés et les partenaires traditionnels réduisent leurs budgets », souligne-t-il.
Face à ces difficultés, explique Gatete l’Afrique n’a d’autres choix que de tracer une nouvelle voie audacieuse et fondée sur des principes. De surcroît, il trouve qu’il faut repenser comme un outil de développement et non un outil de destruction. De plus, L’Afrique doit approfondir la transparence et renforcer la gestion de la dette, réformer d'urgence l'architecture financière mondiale, développer la finance innovante et verte, un renforcement de la mobilisation des ressources intérieures.
Claver Gatete estime que la ZLECAF, ce bloc économique continentale peut constituer la réponse structurelle la plus puissante de l'Afrique. « En créant un marché unique africain de 1,5 milliard de personnes, elle peut stimuler les chaînes de valeur régionales, l'industrialisation, la création d'emplois et la mobilisation des recettes, réduisant ainsi la dépendance à l'emprunt extérieur et renforçant la résilience budgétaire »
Notons que la première conférence africaine sur la dette a vu la participation de hautes personnalités dont Hakainde Hichilema, Président de la République de Zambie, et John Dramani Mahama, Président de la République du Ghanéenne, les présidents des banques africaines, les gouverneurs des banques africaines, les représentants des blocs économiques africains, etc.