Le Parc National de la Rusizi a une histoire complexe qui a régulièrement changé sa dénomination. En effet, dénommé réserve Naturelle avec environ 8000ha à sa création, en 1980, elle a reçu l’appellation de Parc National en 1990 avec 12350 ha pour encore une fois revenir à la dénomination de Réserve avec le décret de 2000 qui ampute près de la moitié de sa superficie.
Par révision de ce décret de 2000, l’aire redevient Parc National avec 10673 ha avec la promulgation du décret de 2011 qui revoit les limites de ce parc. Le changement de nom a affecté son mode de gestion, mais le site a régulièrement été un cas intéressant d’étude pour la gestion participative des aires protégées au Burundi. Le Parc National de la Rusizi est situé dans la plaine de la Rusizi, au nord de la région naturelle de l’Imbo et du Lac Tanganyika.
La plaine de la Rusizi est partagée entre la République Démocratique du Congo (R.D.C), le Rwanda et le Burundi et couvre une superficie d’environ 3000 km2 dont 1750 km2 pour le Burundi. Elle fait partie du système des grands rifts africains et occupe, comme le lac Tanganyika, le secteur central du Graben occidental. Elle est bordée par des escarpements spectaculaires tant à l’Ouest qu’à l’Est.
Ce parc qui doit son nom à la Rivière Rusizi, prenant elle-même source dans le Lac Kivu, et est subdivisé en deux secteurs: Le secteur Delta, à l’embouchure de la rivière Rusizi vers le Lac Tanganyika avec 1363 ha et le secteur Palmeraie au nord avec 8867ha. Les deux secteurs sont reliés par un corridor constitué par la « grande Rusizi » et un ruban de terrain de 100 m de chaque rive qui totalise en tout 443ha.
Dans cet article, c’est le secteur palmeraie qui abrite les faux palmiers appelés « Urukoko » ou « Umuko », une espèce endémique qu’on ne peut trouver que sur ce site dans toute la région qui va nous intéresser. Si rien n’est fait cette espèce est menacée d’extinction.
Nous sommes lundi le 16 décembre 2024, il est 10 heures. Nous partons pour la commune Gihanga, province Bubunza à Buringa, un village frontalier avec le parc national de la Rusizi. Dans ce village, tous les enclos, les clôtures, les boutiques, les étables, certaines toitures sont faites de branches de faux palmiers dits igikoko ou umuko.
Bientôt, le faux palmier n’existera plusL’exploitation et le commerce des branches de faux palmiers inquiètent les défenseurs de l’environnement au Burundi. Pour Albert Mbonerane, le faux palmier est une espèce en voie de disparition. « La population environnante ne pensent qu’à le vendre sur le marché. Mais il y a des effets néfastes pour l‘environnement. Surtout maintenant que nous parlons des changements climatiques. Or, l’une de ses causes est l’action de l’homme qui consiste à couper les palmeraies. », Alerte-t-il.
En plus de ceux qui y tirent des matériaux de construction, M. Mbonerane assure qu’il y a des gens qui fabriquent des bijoux à partir des graines de ces faux palmiers. De plus, le faux palmier est utilisé dans la construction de bistrots, de clôture, le bornage de parcelles, la réalisation de traverses, de berges de rivières, la fabrication de pirogues de pêche, des ruches et cuves.
D’après cet expert, l’Office Burundais pour la Protection de l’environnement fait face un défi de taille. Il ne dispose pas de moyens suffisants pour protéger ce parc. De surcroît, il demande au ministère de l’Environnement, à travers l’OBPE, de prendre cette question à bras le corps surtout en augmentant les éco-gardes pour que ce parc soit plus protégé.
Pour assurer leur reproduction, il faut une prise de conscience puis une mobilisation des moyens pour collecter les graines et faire une pépinière. « Ce parc est un endroit qui devait nous aider à nous adapter aux défis des changements climatiques. », soupire-t-il.
L’éléphant, multiplicateur naturel a disparu dans ce parcPour rappel, le faux palmier ne pousse nulle part ailleurs dans le monde. Cependant, la forêt des faux palmiers qui occupait plus de 2800 ha en 1951 s’est retrouvée avec environ 1200 ha en 1980. Le directeur général de l’OBPE soulève un autre facteur de la disparition progressive du faux palmier : « La disparition des éléphants de ce parc est le déclencheur de l’extension de cette espèce. »
D’après ses dires, autrefois, ce parc était peuplé par des éléphants. Ces derniers se nourrissaient des fruits des pruniers d’Afrique. En rejetant les pulpes à travers leurs matières organiques, les éléphants participaient à la multiplication de cette espèce.
Mais qu’à cela ne tienne, L’OBPE a découvert une technique pour multiplier le faux palmier, confie le directeur général, Berchmans Hatungimana. « Nous comptons créer une pépinière au cours de cette année ou au plus tard l’année prochaine. Nous pourrons ainsi remplacer les arbres coupés afin d’éviter que le prunier d’Afrique ne disparaisse au Burundi ».
Le cimetière de Mpanda ajoute le drame au drameLe cimetière de Mpanda, le nom qu’il doit à la rivière Mpanda qui le traverse est né en 1993 suite à la crise de 1993. Actuellement ce cimetière connait une extension sans précédent. Ainsi, plus de 33 sites de repos des morts sont identifiés dans le secteur palmeraie du parc national de la Rusizi. Un nombre inestimable de morts sont accueillis dans ce cimetière mettant ainsi la biodiversité en péril les faux palmiers.
Ir Innocent Banigwaninzigo, expert en protection de l’environnement alerte sur l’extension de ce cimetière et les dangers qui en découlent notamment l’extermination du faux palmier. Il propose des mesures d’urgence face à l’ampleur de la destruction de ce patrimoine naturel Selon lui, Urukoko, une espèce ayant une période de dormance de 50 à 60 ans, risque de disparaître si rien n’est fait dans l’immédiat. De surcroit, il demande au gouvernement du Burundi de délocaliser ce cimetière pour préserver cette espèce endémique et, partant le Parc National de la Rusizi.
Des éco-gardes débordés Mme Rukundo, une eco-garde dans le Parc National de la fait savoir que les gardes ou guides forestiers du secteur palmeraie travaillent dans des conditions difficiles:
« Nous sommes en nombre insuffisant car la garde de tout ce site d’une superficie de plus de 5000 ha est confiée à 4 gardes. Nous sommes incapables de couvrir tout cet espace. Nous demandons à l’OBPE d’engager d’autres gardes».
Parmi les autres défis auxquels ces derniers font face, Mme Rukundo cite un manque d’outils de travail (bottines, imperméables, uniformes de travail) et un manque d’outils de protection parce que, selon elle, on ne peut pas courir derrière un malfaiteur qui a une machette ou un fusil alors qu’on a un simple bâton. Et d’ajouter « Ces malfaiteurs, des fois nous battent car ils sont plus nombreux que nous ». Ces gardes confirment qu’ils se retrouvent toujours dans les conflits avec les gens qui cherchent les dérivés du faux palmier.