Avec une superficie de 40. 900 ha, le Parc national de la Kibira est le plus vaste du Burundi après celui de la Ruvubu, mais son existence est plus ancienne, puisque dès 1933 les autorités coloniales belges lui ont conféré un statut spécial (réserve forestière), confirmé en 1980 par décret.
Un parc très étendu. Partant des environs de Bugarama au sud, le parc s'étire sur près de 80 km de long vers le nord, encadrant sur 5 à 7 km de large toutes les hauteurs de la crête, et il se prolonge au Rwanda par la forêt de Nyungwe, elle est aussi protégée. Quatre provinces se partagent ce vaste territoire naturel : d'un côté, Bubanza et Cibitoke dans la partie occidentale. Et de l'autre côté, Muramvya et Kayanza dans la partie orientale.
Les guerres qui ont frappé le Burundi n’ont pas épargné la Kibira, entrainant ainsi sa dégradation. L’OBPE estimait en 2014 que près d'un quart de la superficie du Parc (soit 10 000 ha) a été détruit entre 1993 et 2003, par défrichements ou abattage illégal des arbres. Ceci menace la biodiversité de cet espace, mais aussi a des effets indirects sur la qualité des sols (érosion) et la régulation des cours d'eau du pays.
Mercredi, le 29 avril 2025, une équipe des reporters de l’Association des Journalistes Environnementalistes du Burundi (AJEB) se sont réveillés de bonne heure pour se rendre dans la Kibira côté Mabayi de la Province Cibitoke. L’objectif : se rendre compte de la dégradation continuelle de la Kibiri perpétrée par les populations riveraines qui l’exploitent illégalement. Mais aussi, constater les actions qui sont en train d’être menées pour pouvoir sauver ce patrimoine commun.
Il est 6h00 du matin, les reporters membres de l’AJEB, à bord d’un véhicule, prennent le trajet Bujumbura Mairie-Mabayi d’une distance estimée à plus de 100 Km. Le chauffeur mettra plus d’1h40 minutes pour débarquer au chef-lieu de la commune Mabayi.
Après une petite escale au marché du chef-lieu de la commune Mabayi, les journalistes, membres de l’AJEB, reprennent le trajet en compagnie de Monsieur Chef de secteur Mabayi de la forêt de la Kibira. Maintenant, c’est vers la forêt de la kibira, précisément sur la colline Negeri. De loin, sur cette colline, on peut voir de petites prairies et de terrains labourées. Au fur et à mesure qu’on approche, on remarque ce qu’on croyait être une prairie, ce sont des champs de haricots et de manioc.
« Il nous est interdit d’exploiter la colline Negeri »
Mme Béate Niyonkuru, un des exploitants de la colline NegeriAu cours du chemin, les journalistes membres de l’AJEB, non loin de ce qu’était la Kibira, croisent des gens, à majorité femme avec des fagots de bois, des herbes pour le bétail, des sacs remplis de patates douces ou des tuteurs pour les haricots. Cependant, lorsque ces gens voient les reporters en compagnie du chef du secteur, ils prennent la fuite. C’est après une petite prise de contact que la peur s’éloigne.
Un des reporters demande à ces gens pourquoi ont-ils pris fuite lorsqu’ils remarquent des gens se diriger vers la colline Negeri. Timidement, avec un sac remplit de patate douce, Mme Béate Niyonkuru raconte : « Nous avons peur parce que depuis un certain temps nous sommes interdits d’exploiter la colline Negeri. Les gardes forestiers et l’administration nous interdisent de n’exercer aucune activité. Mais, puisque nous n’avons pas d’autres propriétés à cultiver, nous continuons d’exercer malgré les menaces des gardes forestiers et de l’administration ». Cette cinquantenaire souligne que depuis sa naissance, ses parents exploitent ces terrains. De surcroit, explique-t-elle, les terrains nous appartiennent car ils appartenaient à nos ancêtres.
Marie Uwitonze, 45ans, mère de cinq enfants cultive la colline Negeri. Avec un fagot de tuteurs de haricots sur la tête, elle ne cache pas sa colère. Elle indique que depuis son mariage, elle exploitait la colline Negeri. Pour elle, leur interdire de cultiver cette colline c’est les livrer à la mort car, dit-elle, c’est sur cette colline où nous trouvons tout ce dont nous avons besoin pour survivre.
Genèse du conflit
Les différentes crises qui ont endeuillés le Burundi n’ont pas épargné le couvert végétal. C’est ainsi que depuis l’époque coloniale à nos jours, malgré les différentes initiatives du gouvernement et des associations qui militent pour l’environnement, le phénomène continue. En témoigne l’occupation illégale des aires protégées dans presque tout le pays. L’exemple éloquent est le cas de la Réserve Naturelle de la Rusizi, la forêt de la Kibira dans les secteurs Mabayi, Musigati et Rugazi ou des gens s’arrogent le droit d’exploiter anarchiquement ces aires protégées. C’est le cas de l’exploitation anarchique de Kibira secteur Mabayi sur la colline Negeri.
Le garde forestier en chef a Mabayi raconte : « Avant 1993, les malentendus entre l’OBPE et la population n’existaient pas. C’est avec l’assassinat du président Melchior Ndadadaye que la population riveraine s’est emparée et violée les limites physiques qui séparaient les terrains domaniaux et les propriétés privées. L’administration, les gardes forestiers et les associations qui militent pour la protection de la Kibira étaient à ces époques absentes sur les lieux. Donc, la population riveraine en a profité pour s’accaparer de ces terres», informe Monsieur Azarie Ntibashira.
Pour lui, la population doit comprendre que la colline Negeri est du domaine de l’Etat et doit dégager de ces lieux. Il soutient cette idée par le fait que depuis la nuit des temps, ceux gens qui se réclament propriétaires de cette colline n’y ont jamais érigé aucune maison ne fut ce qu’une hutte. Ce garde-forestier poursuit « Comment des gens qui ne partagent même pas la commune ni la famille s’accordent pour réclamer une même propriété » ?
Quand le malheur des uns fait le bonheur des autres
Sur financement du PNUD, Conservation et Communauté de Changement (3C) exécute un projet de délimitation physique de certaines aires protégées spécialement les forêts naturelles. Une délimitation couplée au reboisement et à l’autonomisation de la population environnante. Les groupements qui tracent les pare-feu se disent satisfaits des retombées de la délimitation de la Kibira mais aussi des revenus qu’ils en tirent. Ces derniers sont des groupements charge de la délimitation physique et de la protection de la Kibira. Ils indiquent que le traçage des pare-feu leur permet de subvenir à certains de leur besoins.
Jonathan Sibomana habite sur la colline Rutorero, zone Butahana commune Mabayi. Il est membre du groupement « Tugiriranire Neza » qui trace des pare-feu. Il informe qu’il gagne de l’argent. Et, cet argent lui permet de subvenir à certains de ses besoins. A par ça, il épargne pour un projet futur. « Lorsqu’on perçoit notre salaire, on ne rentre pas avec la totalité. Nous rentrons avec 60 % du salaire et 40% sont épargner pour une utilisation future. Auparavant, payer les frais de scolarité, acheter les intrants agricoles et les semences, payer les soins de santé constituaient le calvaire mais actuellement ce n’est pas le cas ».
Mme Immaculée Nkezimana, habite aussi la colline Rutorero. En plus des gains pécuniaires, elle précise qu’à travers la sensibilisation de 3C, elle est informée sur le bien fondée de protéger la Kibira. «Les forêts jouent un rôle essentiel dans la régulation du climat, la préservation de la biodiversité, le maintien des sols et la fourniture de ressources naturelles. Elles contribuent également au bien-être humain grâce à leur caractère récréatif et touristique».
A côté du traçage des pare-feu, les groupements assurent aussi le rôle des gardes-forestiers. Cependant, dans l’exercice de leur mission, ce groupement rencontre des défis énormes. Il s’agit notamment du manque des tenues appropriées pour qu’ils se distinguent des gens ordinaires. «Des fois, puisque nous n’avons pas d’uniformes, nous sommes taxés des malfaiteurs qui troublent la Kibira », disent-ils. Ils demandent des uniformes mais aussi des bottes pour se protéger contre les épines et les herbes et arbres comme l’ortie et l’herbe à puce.
Notons que l’administration locale apprécie positivement les actions de 3C.